Ça ne vous dérangerait pas d’éteindre votre cigarette ? La question était posée poliment. Mais pour les New-Yorkais qui fumaient dans les jardins publics ce week-end-là, elle avait une résonance presque menaçante. “Si”, a répondu posément Mikey Quackenboss, 25 ans, en tirant sur sa cigarette dans McCarren Park, à Brooklyn. “Ça me dérange. Beaucoup.”
Dans Bryant Park, à Midtown Manhattan, une femme élégante a demandé en serrant les dents de rage : “C’est illégal ?” Quand on lui a expliqué que ça pourrait le devenir, elle a écrasé à contrecœur sa cigarette dans l’herbe : “La dernière fois qu’un gouvernement a tenté d’interdire au peuple de fumer, c’était sous Hitler. Vous devriez vous renseigner.” Seule une jeune femme, les yeux plissés par un sourire amical, a obtempéré sur-le-champ. “Je peux aller plus loin, si vous voulez”, a proposé Claire Delmas, une consultante en finance de 29 ans. Mais peut-être son opinion ne comptait-elle pas vraiment, car elle était originaire du Luxembourg.
Cette expérience était une sorte de “caméra cachée”. Des élus municipaux proposent que l’interdiction de fumer dans les jardins publics, sur les plages et sur les esplanades présentée par le maire de New York, Michael Bloomberg, soit appliquée par la police et les gardiens des jardins publics, mais aussi par des citoyens ordinaires qui demanderaient aux fumeurs d’accomplir leur devoir civique en éteignant leur cigarette. M. Bloomberg et ses partisans souhaitent que le fait de fumer à l’extérieur soit perçu comme un acte socialement inacceptable, méritant un avertissement ou un rappel à l’ordre de 50 dollars.
New York est une ville où les gens apprennent à cohabiter avec huit millions de voisins. Les nouveaux venus savent très vite quand il convient de regarder quelqu’un dans les yeux et quand il est préférable de l’éviter (ce dernier cas étant le plus fréquent). Ils apprennent à ne pas violer l’espace privé d’autrui sur les trottoirs ou dans des rames de métro bondées. New York est une ville où de légères transgressions, comme le fait de marcher en dehors des passages cloutés ou de porter des vêtements étranges, différencient les gens originaires de l’Iowa des New-Yorkais de souche.
Enfin, New York est une ville où celui qui omet de s’excuser s’expose à de vives remontrances et peut même provoquer des violences s’il a affaire à un conducteur agressif. Autant de facteurs qui conduisent à se demander s’il est vraiment raisonnable de donner aux New-Yorkais une raison supplémentaire de s’affronter.
Selon Gale Brewer, élue de l’Upper West Side, si un nombre suffisant de gens font entendre leur voix, il deviendra aussi tabou de fumer dans des jardins publics que de laisser son portable allumé dans une salle de cinéma.
“Des gens m’ont demandé si l’on pouvait intenter une action contre ces interdictions. Mais ça n’est pas possible, car l’adoption des lois sur la santé publique relève de la compétence de l’Etat”, explique de son côté le défenseur des droits civiques, Norman Siegel. L’élément décisif, selon lui, pour que l’interdiction soit appliquée pourrait bien être la courtoisie. Revenons donc à notre expérience. Pourriez-vous éteindre votre cigarette ? “Non, non, Non”, a répondu Gary McKnight, 24 ans, un autre livreur à vélo qui fumait dans McCarren Park. Quand on lui a expliqué la nature de l’opération, il a précisé qu’il n’avait pas voulu être grossier et que, si la proposition était adoptée, il s’y soumettrait.
“Si cela vous dérange, allez plus loin”, a répliqué un autre fumeur. Quand il a su qu’il s’agissait d’un simple essai, il a ajouté : “Qu’est-ce qu’ils vont chercher à interdire ensuite ? De fumer sur les trottoirs ?” Puis il a expliqué qu’avec tous les fumeurs obligés de sortir des immeubles les trottoirs étaient de plus en plus couverts de monde et que lui-même trouvait parfois l’air très toxique.
Même la police s’est montrée assez réservée à l’idée de verbaliser des gens fumant dans des jardins publics. “Nous n’avons pas d’opinion positive ou négative”, a indiqué l’un d’eux. “Il y a déjà une foule de choses à rédiger. Ça en ferait une de plus.” Quelques fumeurs ont été suffisamment courtois, ou effrayés, pour éteindre leur cigarette ou quitter les lieux. Mais plusieurs autres ont invoqué la légalité. “Je ne vois aucun panneau disant qu’il est interdit de fumer”, a observé Ken Dorazio, qui s’est présenté comme étant “à la fin d’une carrière médiocre à Wall Street”, ajoutant : “A ma connaissance, on est encore dans un pays libre, non ?” Alors qu’on lui conseillait de se calmer, il a grommelé : “Le meilleur endroit pour fumer aujourd’hui est votre voiture. Là au moins, vous êtes chez vous.”
Où en est la législation concernant le droit de fumer à New-York ?
Comme dans de nombreux pays ou de nombreuses villes, les mesures anti-tabac sont destinées à toucher les plus jeunes. New-York peut se vanter d’être une ville où le jeunes fument peu. En effet, d’après le rapport de la NY-Youth Tobacco Survey, le nombre de lycéens qui fument des cigarettes manufacturées a drastiquement diminué atteignant moins de 3% en 2020 (contre 27.1% en 2000).
En 2020, la ville de New-York avait déjà interdit la vente en ligne de produits de vapotage et de liquides aromatisés pour endiguer le phénomène de vapotage chez les jeunes new-yorkais. Le vapotage étant souvent utiliser pour arrêter de fumer chez les fumeurs, ce phénomène touche de nombreux pays qui voient une recrudescence du nombre de vapoteurs, dépassant la plupart du temps le nombre de fumeurs de pipes, de cigarettes roulées ou de tabac à chiquer. Une nouvelle bataille que la lutte anti-tabac va devoir gérer.
Parallèlement à ces mesures anti-tabac, l’État de New-York a décidé de légaliser l’usage récréatif du cannabis sur son territoire. Une décision qui s’inscrit à contre-courant de la volonté du pays de diminuer son taux de tabagisme (bien qu’il existe d’autres manières de consommer du cannabis que de le fumer).
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